UN SUIVI DE LA BIODIVERSITÉ DÉPHASÉ PAR RAPPORT AUX CHANGEMENTS PLANÉTAIRES
La biodiversité est la source de nombreux services écosystémiques, le socle même de toute vie et de son évolution. Alors qu’elle est de plus en plus menacée par l’amplitude et la rapidité des changements planétaires, son suivi à hautes résolutions spatiale et temporelle devient une nécessité. Des méthodes performantes existent depuis longtemps pour le suivi global et instantané des habitats ou de notre environnement physique : télédétection, capteurs de fréquences sonores ou électromagnétiques… En comparaison, le suivi de la biodiversité reste parcellaire, souvent local, rarement répliqué dans le temps et focalisé sur quelques espèces cibles. Ce constat est d’autant plus vrai pour la biodiversité marine. L’inaccessibilité de certains habitats (grandes profondeurs), l’immense volume des masses océaniques mais aussi la difficulté d’observer des espèces qui peuvent être furtives (requins) ou cachées (petits poissons récifaux) complexifient grandement ce suivi.
UNE PREUVE DE CONCEPT À TRAVERS L’EXEMPLE DES RÉCIFS CORALLIENS
Les récifs coralliens abritent la plus grande diversité de poissons sur notre planète, avec de nombreuses espèces cryptiques difficiles à observer avec des techniques traditionnelles telles que le comptage en plongée. Les suivis réalisés depuis plusieurs dizaines d’années n’ont pas permis, à ce jour, une estimation fiable de cette diversité de poissons coralliens. Depuis trois ans, plusieurs expéditions menées par les scientifiques de Vigilife, dans le cadre notamment des “Explorations de Monaco”, ont permis d’étudier la diversité des poissons coralliens à partir de 251 échantillons d’eau de mer filtrés à travers les océans Indien, Pacifique et Atlantique. L’analyse de l’ADNe a permis de dévoiler une diversité globale de 2 788 espèces de poissons, soit 16 % de plus que dans l’estimation la plus récente. Ces derniers chiffres avaient été récoltés au cours de 13 années d’observations visuelles et à partir de 2 813 transects en plongée dans ces trois océans (projet Reef Life Survey). L’ADNe a aussi détecté 50 % de familles en plus que le suivi visuel, avec 118 familles contre 77 précédemment identifiées.
UNE NOUVELLE ÈRE DANS LE RECENSEMENT DE LA BIODIVERSITÉ À LARGE ÉCHELLE
Les technologies basées sur l’ADNe combinent des propriétés jamais atteintes par les méthodes classiques de suivi de la biodiversité marine. Elles peuvent détecter l’ensemble des espèces de poissons, du plus grand (requin baleine) au plus petit (gobies), sans avoir à les pêcher ni à les perturber. En outre, le protocole d’échantillonnage est simple à mettre en œuvre et ne nécessite pas l’intervention de spécialistes des poissons. Il peut donc être étendu dans un laps de temps très court sur de grandes surfaces, comme cela a déjà été largement démontré dans les écosystèmes d’eau douce. Enfin, ces approches innovantes bénéficient des progrès les plus récents en bioinformatique qui permettent de réaliser des estimations de diversité même sans bases de données génétiques de référence complètes. Ainsi, les développements autour de l’ADNe permettent d’envisager un changement d’échelles spatiale et temporelle dans le suivi de la biodiversité, en phase avec les changements planétaires. La mise en place de Vigilife, utilisant des protocoles standardisés dans l’espace et le temps, devrait être le catalyseur de ce changement de paradigme.